Lors de leurs vœux à la recherche et à l'enseignement supérieur, Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse ont comme chaque année fait miroiter des milliards d'euros aux scientifiques. Mais ces carottes toujours plus grosses cachent de plus en plus mal un bâton dont les retours menacent jusqu'aux fondements du monde académique français.
Le plan campus, lancé il y a trois ans déjà, devait "répondre à l'urgence immobilière" des universités françaises. Cinq milliards d'euros étaient promis aux gagnants de cette grande loterie à laquelle étaient conviées les 85 universités françaises. Des 46 projets présentés, 12 furent retenus en grande pompe. Depuis, la communication sur le plan campus n'a pas cessé, mais pas un centime n'a été dépensé ni même engagé. Les universités avaient pour priorité de rénover leurs bâtiments ; on les oblige à en construire de nouveaux, dans le cadre exclusif de partenariats public-privé (PPP) qui imposent de longues annuités de remboursement. Le socle d'une nouvelle politique en matière d'enseignement supérieur et de recherche est, lui, posé : la mise en concurrence systématique de tous contre tous.
Le "Grand emprunt" constitue à cet égard une remarquable escalade. La carotte a grossi : 21,9 milliards, mais de nouveau, seuls les intérêts, modestes, seront disponibles. La sélection s'annonce drastique, car il s'agit de financer l'"excellence" et elle seule. Subitement, les notations de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), basées sur les activités passées des équipes concernées, sont devenues discriminantes. Leur simplisme (A+, A, B ou C, risible écho aux agences de notation financière) confère une redoutable efficacité au tri effectué entre équipes "excellentes", notées A+, et toutes les autres, y compris les très bonnes (les "A") écartées pour la plupart des projets. Quant aux laboratoires et aux conseils scientifiques des universités, lieux d'échanges et de mutualisation des moyens, ils sont simplement rayés de la carte des décisionnaires.
Las, le marché proposé est un marché de dupes. Quoi qu'en disent le président et la ministre, véritable experte en bonneteau budgétaire, les moyens de l'enseignement supérieur et de la recherche sont restés au mieux constants ces dernières années. Il suffit pour s'en convaincre de lire les statistiques officielles. Ce qui va à quelques-uns, les "excellents", est pris à tous les autres. Pour ceux-ci, la grande majorité, la disette arrive d'ailleurs plus vite que les agapes promises à ceux-là : les subventions d'Etat accordées par le CNRS à ses laboratoires sont en 2011 en diminution de 10 à 15 %.
PRODUCTIVISME SCIENTIFIQUE
Cette déstructuration s'accompagne d'un formidable gâchis d'énergie. Des milliers d'heures de travail sont détournées de leur objet, chercheurs et universitaires n'ayant d'autre choix que de consacrer toujours davantage de temps à répondre à des appels d'offre, à empaqueter leurs travaux sous forme de "projets", à chercher à s'insérer dans tel réseau, telle fondation. Bloquant tout développement des connaissances, cette logique absurde qu'avait imaginée le prix Nobel Léo Szilárd dans sa nouvelle La Fondation Mark Gable, semble s'être réalisée dans les modalités de la "nouvelle gouvernance de la science" à la mode Pécresse !
Cette prétention à l'excellence a un autre effet, insidieux mais dévastateur à long terme. Elle pousse le monde académique à un productivisme scientifique qui écarte la qualité au profit d'indicateurs quantitatifs facilement mesurables. Au mieux, les équipes se replient sur leur laboratoire, au pire, elles se transforment en sous-traitants d'entreprises encouragées à externaliser leur R&D par les milliards, eux bien réels, du crédit d'impôt recherche. Dans les deux cas, les chercheurs se détournent de la Cité. Or, comment préparer "l'indispensable transition vers un nouveau modèle de développement, plus durable" selon les termes mêmes d'Alain Juppé et de Michel Rocard, sans nouveau partenariat entre science et société ?
Dans certaines régions, d'autres conceptions du soutien à la science s'expérimentent, se mettent en place, préférant la coopération à la concurrence, la mise en réseaux à la compétition permanente, encourageant les échanges avec le monde associatif. Les grandes orientations scientifiques et techniques y sont mises en débat. Une autre politique de la recherche et de l'enseignement supérieur est possible au niveau national aussi, qui valoriserait la prise de risques tout en assurant aux acteurs la visibilité - en termes de moyens et de statut - nécessaire à l'exercice efficace de leur métier véritable : produire de nouvelles connaissances et les partager.
Cécile Duflot, secrétaire nationale d'Europe Ecologie - les Verts ;
Laurent Audouin, responsable de la commission enseignement supérieur et recherche ;
Marc Lipinski, ancien vice-président enseignement supérieur, recherche, innovation du Conseil régional d'Ile-de-France ;
Sandrine Rousseau, vice-présidente enseignement supérieur et recherche du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais.
LEMONDE.FR | 24.01.11 |
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