samedi 2 avril 2011

Yves Cochet : Gaz de schiste, présidentielles et autres fondamentaux

Yves Cochet est un personnage français de l’écologie politique : dès 1984, il participe à la fondation des Verts. Il s’illustre ensuite notamment en devenant ministre de l’Environnement du gouvernement de Lionel Jospin en 2001, ou en participant à la création de l’Agence bio. Aujourd’hui, il est député de la 11ème circonscription de Paris (depuis 2002, car il a été réélu en 2007), et président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale. Il est par ailleurs l’un des rares hommes politiques français spécialistes de la déplétion pétrolière. Il nous éclaire sur les risques de la possible exploitation du gaz de schiste en France, ainsi que sur la probable candidature de Nicolas Hulot aux présidentielles de 2012, et défend un concept qui lui est cher : la décroissance…

DeveloppementDurable.com : L’exploitation du gaz de Schiste est étudiée en France. Quels en seraient les dangers ?

Yves Cochet : L’expérience américaine nous a montré, notamment au travers du film Gasland, que les procédés nouveaux – hydrofracturation et forage directionnel – qui sont utilisés dans l’exploitation du gaz de schiste sont extrêmement impactants pour l’environnement, le paysage et la santé humaine. Penser qu’il existe encore un trésor caché dans le sous-sol est par ailleurs utopique. Les réserves sont finalement relativement faibles, et cette activité ne fera que perpétuer notre addiction au pétrole et au gaz. Sans compter qu’elle sera responsable de nouvelles émissions de gaz à effet de serre.
EELV y est donc opposé, aussi bien en France qu’en Pologne ou en Grande-Bretagne, où des explorations sont également menées.
Il existe une alternative pour obtenir du gaz : la fermentation des déchets. Ceci éviterait de plus au méthane, qui a un forçage radiatif bien plus important que le CO2, de se retrouver dans l’atmosphère.

DD.com : Cette activité est-elle financièrement intéressante ?

Y. C. : Elle peut l’être, mais c’est très limité dans le temps. Le PDG de Chesapeake, la plus grande société américaine exploitant le gaz de schiste, l’a lui-même reconnu : le taux de croissance de l’exploitation est extrêmement rapide, mais celui de la décroissance l’est tout autant. Contrairement à une poche de gaz ou de pétrole conventionnel, que l’on peut exploiter durant environ 50 ans, une réserve de gaz de schiste ne dure que 4 à 8 ans.

DD.com : Pensez-vous que le gouvernement pourrait renoncer au gaz de schiste, sachant que la ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet a suspendu les travaux d’exploration dans le Sud de la France, dans l’attente des conclusions d’un rapport remis le 31 mai ?

Y. C. : Le gouvernement a décidé ce moratoire juste avant les élections cantonales : il s’agissait donc d’une pure conjonction électorale. Par ailleurs, NKM a déjà affirmé que les méthodes utilisées en Europe seront différentes de celles employées aux Etats-Unis : je voudrais bien savoir lesquelles. Aux niveaux législatif et réglementaire, je veux bien le croire, mais au niveau technique, j’ai beaucoup de mal.

DD.com : En ce qui concerne les primaires écologistes, vous affirmez deux choses : que vous vous retirerez en cas de candidature de Nicolas Hulot, et que vous êtes quasiment certain que le reporter va se présenter. Pourquoi êtes-vous si emballé à l’idée d’une candidature Hulot ?

Y. C. : Nicolas Hulot donnera sa réponse vers la mi-avril, et je suis sûr à près de 90 % qu’elle sera positive au vu de ce que je sais de lui et de ce que disent ses amis : il s’est beaucoup préparé, il est en train de quitter sa fondation et TF1…
Je me retirerais alors, à condition que la posture stratégique de sa campagne soit acceptable pour moi et l’ensemble des militants écologistes. Je n’ai pas encore toutes les garanties, mais j’espère qu’il les donnera suffisamment tôt.
Pourquoi je suis emballé ? Nicolas Hulot a deux vertus principales : il est incontestablement écolo, et il dispose d’une notoriété très importante, bien supérieure à la mienne ou celle d’Eva Joly. Il a donc du potentiel. Il faut maintenant voir ce que son capital sympathie va donner en politique…

DD.com : Que reprochez-vous à Eva Joly ?

Y. C. : Pas grand-chose. C’est une femme tout à fait remarquable, courageuse, et très droite. Elle connaît très bien les mécanismes de la corruption, le fonctionnement des paradis fiscaux.
Mais auprès de nos concitoyens, elle ne passe encore pas pour une véritable écolo. Elle est nouvelle dans le domaine, et même en politique. Elle est ainsi davantage connue pour ses combats judiciaires. Il y a donc un risque de décalage entre son image de justicière et celle de militante écolo, qu’elle n’a pas encore. Et en une quinzaine de mois, cela va être difficile à changer.
Sinon, sur le fond, je ne suis pas sûr qu’elle corresponde à ce que j’attends d’une campagne écolo, notamment sur des sujets environnementaux comme le nucléaire, la biosphère, ou la biophysique. Côté social, en outre, est-elle pour la semaine de quatre jours ? Est-elle pour le revenu d’existence, c’est-à-dire un revenu inconditionnel de base pour tout le monde ? Je ne pense pas. Son projet est trop différent de celui que je défendrais si j’étais candidat.

DD.com : Qu’avez-vous pensé de la proposition de José Bové de ne pas organiser de primaires écologistes, au profit d’un débat ?

Y. C. : Je pense que les primaires sont une bonne chose. Mais comme je suis également de ceux qui croient au « tsunami Hulot », je pense que, comme moi, Eva Joly devrait se retirer en cas de candidature du présentateur. De toute façon, les différents sondages qui paraîtront cet été la lanceront certainement dans cette voie.

DD.com : Face à la montée du Front National, certains, à gauche, ont appelé au « vote utile » pour les présidentielles. Pensez-vous, à l’instar de Cécile Duflot (secrétaire nationale d’EELV), que le vote écolo est un vote utile ?

Y. C. : Je suis persuadé que le vote écologiste sera le plus utile en 2012 car nous sommes les seuls à anticiper la prochaine crise. Nous constatons en effet que le début de 2011 ressemble étrangement à celui de 2008. Il est donc très probable que le grand sujet de la présidentielle ne soit pas la sécurité, l’immigration, ou la délinquance, mais la récession ! Il serait donc inopportun de voter pour des partis qui pensent que nous allons renouer avec la croissance. Il va falloir s’habituer à une décroissance du PIB. Et il n’y a que les écologistes qui sont en mesure de proposer un type de gestion économique et un modèle sociale différent capable d’éviter le chaos social en France.

DD.com : En cas de victoire de la gauche aux présidentielles, lui faîtes-vous confiance sur l’écologie ?

Y. C. : Absolument pas ! Lors des élections nationales ou locales, il n’y a pas de grandes alliances entre le PS et EELV. Et pour cause : la gauche est encore très productiviste et n’a toujours pas réalisé le changement de vision du monde que représente l’écologie politique. Ce qui compte pour eux, c’est la croissance, la consommation, les grands travaux, les grandes infrastructures,… Or le monde a beaucoup changé depuis le 20ème siècle.
Cela dit, j’espère quand même que la droite sera battue et que nous cogérerons la France.

DD.com : Vous vous dîtes décroissant. Pourquoi ?

Y. C. : Il y a d’abord une probable récession qui s’annonce, et qui sera bien pire que celle de 2008-2009, du point de vue économique, social, voire démocratique. Le système productiviste n’en a donc plus pour très longtemps. Et ce n’est pas la lutte des classes qui en sera responsable, contrairement à ce que pense Olivier Besancenot, mais la déplétion pétrolière.
Je crois par ailleurs à un projet de société plus sobre, dans laquelle il y aurait moins de biens, mais plus de liens, c’est-à-dire moins de surconsommation. L’idée serait alors de partager avec nos frères du Sud. Notre mode de vie est en effet tout à fait inexportable à l’ensemble de la planète.
Pour les pays riches, il y a enfin ce que l’on appelle la baisse de l’empreinte écologique, qui est un critère bien plus intéressant pour mesurer la santé d’une population que le PIB. L’empreinte écologique de la France est beaucoup trop forte : comme le disait le président Chirac, il faudrait trois planètes Terre si tout le monde vivait comme un Français ! Il faut donc baisser notre exubérance consumériste, quitte à vivre avec moins de matériel et d’énergie. Car le bonheur n’est pas dans la surconsommation ! Il est dans les relations humaine, l’amour, le sport, les militantismes syndicale, associatif, politique, la méditation, la lecture et Mozart.

DD.com : Que vous inspire le concept de développement durable ?

Y. C. : Beaucoup de méfiance. Il était peut-être bon dans les années 1980, au moment où Gro Harlem Brundtland a lancé le « sustainable development », mais il a été beaucoup dévoyé depuis. Aujourd’hui, tout le monde fait du développement durable, y compris les plus gros pollueurs, comme Areva ou Total, qui s’abritent derrière le greenwashing. Il s’agit de plus d’un oxymore intellectuel. Il vaut mieux parler d’écologie politique, de décroissance, ou d’empreinte écologique.

DD.com : Au sein d’EELV, on est plutôt développement durable ou décroissance ?

Y. C. : Il y a des débats. Il y en a qui sont pour le développement durable, d’autres pour la décroissance. Nous avons une base fondamentale qui est l’écologisme, mais certains sont plus radicaux, car nous n’avons pas la même vision de l’avenir. C’est peut-être d’ailleurs la différence entre Eva Joly et moi. Cette dernière croit en la croissance verte, qui est également un oxymore… largement utilisé par la droite.

DD.com : Quel est votre prochain chantier parlementaire ?

Y. C. : La commission à laquelle j’appartiens, la Commission du développement durable, d’ailleurs, n’a pas de projets de loi en vue. Je vais donc essayer, au sein du Parlement, de faire progresser cette idée de la probable récession de la France. Ma base de réflexion sera la raréfaction des matières premières.

Propos recueillis par Yann cohignac

Site Internet d’Yves Cochet : www.yvescochet.net/wordpress

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